Les larmes des prêtres

Il n’y a pas d’excuse, petits et grands nous sommes appelés à porter beaucoup de fruit. Demandons tout particulièrement ce fruit qu’est le don des larmes.

« Revenez à Moi de toute votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! » (Jr 2, 12)

André Bessette

« Les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer », (Jo. 2, 17) demande le prophète Joël. Il leur faut pleurer, c’est leur devoir. Pourquoi les prêtres doivent-ils pleurer ? Depuis quelque temps déjà, j’ai compris que je devais pleurer comme les prêtres de la génération de Joël.

Pire encore, les prêtres doivent souffrir. C’est ce que disait le frère André Bessette aux prêtres et aux religieux qui venaient le voir pour guérir. Dès son enfance frêle et malade, très pieux, rien ne laissait présager qu’il puisse vivre longtemps et qu’il devienne l’homme religieux le plus célèbre au Québec. À partir de la fin des années 1870, bien qu’il fût presque illettré, sa réputation de saint et de thaumaturge grandit. Son envergure dépasse même les frontières pour s’étendre partout en Amérique, puis en Europe, et dans le reste du monde . À Montréal, il  réussit à faire construire l’oratoire Saint-Joseph, une imposante basilique dédiée à saint Joseph. Tel est celui qui guérissait tout le monde, ou presque, à l’exception des religieux et des prêtres !

Le prophète Joël appelait les prêtres à pleurer parce qu’un immense danger, celui d’une invasion guerrière irrésistible, était imminent.  Le prophète comparait cette invasion à celle de sauterelles qui s’abattent sur un pays pour dévorer en quelques heures toutes les récoltes, provoquant immédiatement la famine de ses habitants : « Ce qu’a laissé le gazam, la sauterelle l’a dévoré, ce qu’a laissé la sauterelle, le yeleq l’a dévoré, ce qu’a laissé le yeleq, le hasil l’a dévoré . » Joël décrit là, selon les spécialistes, les sauterelles à leurs différents stades de développement : la larve, la nymphe et l’insecte jaune surnommé le « rogneur » (gazam).

Devant cette invasion terrifiante, le prophète demande aux prêtres de se revêtir de « sacs », de pousser « des cris de deuil  », de prescrire un « jeûne » et de réunir « les anciens, tous les habitants du pays », (Jo. 1, 14), toutes affaires cessantes. Ce n’est plus le temps des sourires : « Les visages perdent leur couleur . »

Notre pessimisme ou notre inconscience nous pousse à penser que ces pleurs sont inutiles. Est-il bien vrai que l’appel à pleurer soit un appel dérisoire ? Est-il bien vrai que l’appel à se mortifier, à faire pénitence, soit inutile ?

Pour le prophète, tout n’est pas perdu malgré l’imminence de la catastrophe. Il est chargé de dire qu’il y a encore une issue : « Mais encore à présent – oracle de Yahvé – revenez à Moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil. » (Jo. 2, 12) Il s’agit simplement – les larmes en sont un signe – de ne pas faire semblant. L’insistance est sur le cœur.  Il faut :

Revenir à Dieu de « tout [son] cœur  ».

Déchirer son cœur « et non [ses] vêtements  ».

Et pourquoi des cœurs brisés seraient-ils l’issue ?

Parce que Dieu « est tendresse et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et Il a regret du mal  ».

Parce que « Yahvé [s’émeut] de jalousie pour Son pays . »

Des cœurs brisés sont l’issue, parce que l’Israël d’hier était le pays de Yahvé, de même que la France d’aujourd’hui est le pays de Dieu.

La France est le pays de Dieu. Toute l’humanité est le pays de Dieu. C’est Lui notre « Père ».

L’Eglise de France est d’une manière toute particulière « le pays de Yahvé ». Elle est appelée, comme toute l’Eglise avec qui Dieu a fait alliance, à « revenir » vers Son Epoux, le Christ, avec confiance, pour une restauration. Nous sommes, comme le dit S. Jacques, ce peuple « tiré d’entre les païens », « un peuple réservé à Son Nom » (Ac. 15, 14) pour que « le reste des hommes cherchent le Seigneur, ainsi que toutes les nations qui ont été consacrés à Mon Nom, dit le Seigneur qui fait connaître ces choses depuis des siècles . »

Le prophète lui-même crie : « Yahvé, je crie vers toi  ! » L’appel aux larmes est typique de la prophétie. Tous les prophètes appelleront aux larmes :

Jérémie. « Circoncisez-vous pour Yahvé, ôtez le prépuce de votre cœur, gens de Juda et habitants de Jérusalem . »

Isaïe. « N’apportez plus d’oblation vaine. […] Lavez-vous, purifiez-vous ! Otez de ma vue vos actions perverses  ! »

Baruch. « Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël, c’est une âme angoissée, un esprit ébranlé, qui Te crie : “Ecoute, Seigneur, aie pitié, car nous avons péché contre Toi .“ » Etc.

Mais aujourd’hui encore, des prophètes se lèvent, comme le Frère André Bessette, le saint de Montréal :

Lui aussi prie intensément.  Il confie au jeune Henri Saint-Denis : « Offrez à Jésus souffrant une nuit entière de prières pour ceux et celles qui Le font pleurer continuellement par leurs péchés ; alors vous voudrez passer d’autres nuits en prière . » Il a soif de prier pour les âmes. Il n’hésite pas à reprendre un prêtre qui lui dit un jour : « Il faudrait vous coucher plus tôt, vous prolongez trop vos prières. » Il lui répond : – « Si vous saviez le besoin qu’ont les âmes de la prière, vous ne diriez pas cela . »

Lui aussi fait pénitence. On lui reproche ses pénitences excessives, il réplique alors : « Il faut bien faire pénitence pour les pécheurs, eux n’en font pas . »

Souffrons-nous pour telle ou telle âme que nous savons inconvertie ? Non, parce que la souffrance nous fait peur, alors qu’elle ne faisait pas peur à André Bessette disant avec ingénuité : « Plus on est proche de Dieu, plus on souffre. » Pour un corps souffrant, il réglait bien vite le problème, il le guérissait en quelques minutes.  Mais pour une âme pécheresse, il prenait tout son temps.

La vie de ce saint frère est un vigoureux appel à la sanctification des prêtres dont la vocation n’est pas le confort ! Chaque année depuis 1995, par décision du pape Jean-Paul II, l’Église universelle vit une journée de prière pour la sanctification des prêtres, le 8 juin, jour de la solennité du Sacré-Cœur de Jésus. Etant donné le contexte actuel, il me semble que cette prière pourrait être faite plus qu’une fois par an ! Je vous propose la prière suivante : « Nous vous demandons, ô Jésus, que vos prêtres soient saints entre tous parce que vous êtes saint; parce qu’ils sont appelés à former le peuple des saints; parce que vous avez déposé entre leurs mains tous les intérêts de l’Église, votre Épouse mystique; parce que, s’ils n’étaient pas saints, leurs paroles ne pénètreraient pas dans les âmes pour y porter, avec la vérité qui éclaire, la componction qui convertit, la consolation qui encourage, la force qui triomphe des ennemis du salut ; parce que s’ils n’étaient pas saints, leurs exemples au lieu d’édifier, tourneraient au scandale des faibles, et ils perdraient ceux qu’ils devaient sauver. O Jésus, épargnez aux âmes, épargnez à votre Église, épargnez à vous-même l’épreuve de voir paralysés par la négligence, inutilisés par la tiédeur, ces docteurs, ces juges et ces pères de nos âmes, ces coopérateurs de votre mission pour la rédemption du monde.  Que plutôt votre divin Esprit les embrase du zèle de votre charité comme il a fait pour les Apôtres, et qu’Il les consume en vous à la gloire du Père céleste. Ainsi soit-il . »

Pour le Carême de 2015, le Pape François s’exhortait lui-même à pleurer, ainsi que les évêques, les consacrés, les prêtres : « Cela nous fera du bien à tous, mais en particulier à nous les prêtres, au début de ce Carême, de demander le don des larmes, de façon à rendre notre prière et notre chemin de conversion toujours plus authentiques et sans hypocrisie. Cela nous fera du bien de nous poser la question : “Est-ce que je pleure ? Le pape pleure-t-il ? Les cardinaux pleurent-ils ? Les évêques pleurent-ils ? Les personnes consacrées pleurent-elles ? Les prêtres pleurent-ils ? Les pleurs sont-ils présents dans nos prières ? Tel est précisément le message de l’Évangile d’aujourd’hui .“ »

Au cours de ce carême, pourquoi ne prendrions-nous pas pour modèle S. Joseph ou le frère André Bessette ? Leurs vies sont des vies « ordinaires », mais des vies qui en ont fait pour l’un « le patron de l’Église » et un grand exemple, pour l’autre, un exemple pour les plus petits. Il n’y a pas d’excuse, petits et grands nous sommes appelés à porter beaucoup de fruit. Demandons tout particulièrement ce fruit qu’est le don des larmes.

Prions : « Seigneur, les temps sont critiques. L’Eglise Elle-même vit un temps critique. Fais-nous la grâce de pleurer et de pleurer avec Toi. Fais-nous la grâce d’essuyer Tes larmes que Tu verses sur nos cœurs trop durs. Amen. »

Oraison jaculatoire : « Me voici, Seigneur, pour faire Ta volonté. »

Père Geoffroy de Lestrange, prêtre et ermite à Cerdon France

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