Etes-vous esseulé ce soir ? Il arrive qu’au milieu d’une foule, on se sente seul : à cause d’une tristesse que l’on ne peut pas partager, d’une longue maladie que le temps ne semble pas dissiper, d’un être cher qui vous manque, d’une ténèbre de l’âme que l’on n’arrive pas à dissiper. S. Ephrem de Nisibe, diacre, poète de langue syriaque au 4ème siècle, imagine Marie, esseulée, berçant l’Enfant-Jésus : « Qui a donné à l’esseulée que je suis qu’elle conçut et enfantât […] le Tout-Petit et le Très-Grand à la fois ? Il est tout entier présent à moi… tout entier présent à l’univers aussi . »
La question de Noël est de savoir pourquoi Celui qui veut être tout entier présent à chacun de nous, ne l’est pas. Pourquoi Jésus n’est-Il pas présent à chacun de nos cœurs de telle manière que, sortant de cette église nous ne pourrions jamais oublier sa visite ? Pourquoi le beau cadeau de Noël, pourquoi le seul vrai cadeau de Noël, Dieu parmi nous , l’Emmanuel, la Lumière qui éclaire les ténèbres, échappe-t-il au regard de la multitude ?
Il y a, bien entendu les ténèbres qui font obstacle à cette Présence, mais S. Jean affirme que « la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres n’ont pu la saisir ».
Si les ténèbres n’ont pu saisir la Lumière, comme la Lumière ne nous saisit-Elle pas ? Elle est là, comment ne la saisissons-nous pas ?
Peut-être manque-t-il un annonciateur ? Un Jean ? « Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui . » Mais Jean est mort, il y a plus de deux-mille ans…
Peut-être faut-il des anges ? « Et voici, un ange du Seigneur apparut aux bergers, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. Mais l’ange leur dit : Ne craignez point ; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie: aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur .
Alors il faudrait des anges par toute la terre et pas seulement à Bethléem… comme lors de Son retour en gloire. Mais voilà d’autres anges, d’autres envoyés : ces bergers à qui l’annonce a été faite : « Après avoir vu [le Sauveur], ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers . »
N’est-ce pas hier, mon Père, existe-t-il aujourd’hui encore de tels anges sur la terre ?
Sonam Shaikh, née d’un père musulman et d’une mère hindoue, a vingt-deux ans. Brillante diplômée d’une école de commerce et d’hôtellerie dans l’aviation, elle travaille déjà. Un collègue catholique l’invite à la Messe de minuit en 2011. Jusqu’alors, elle n’est jamais entrée dans une église. En franchissant la porte, elle sent quelque chose en elle et « immédiatement, j’ai commencé à aimer ce Dieu puissant ».
Pourtant Sonam avait accepté l’invitation « comme un évènement social et culturel », mais tout la fascine : « Être simplement présente à la Messe était une expérience merveilleuse et magique. La longue procession d’entrée avec les vêtements des prêtres, les servants d’autel, me remplirent d’admiration. Je n’étais pas préparée à cette grandeur . »
Alors que le prêtre s’avance au pupitre pour lire l’histoire de la Nativité, « ce fut comme un coup de tonnerre : la conception de la Vierge par le Saint Esprit, le chant des anges, la naissance de Dieu : c’était au-delà de mon imagination. Ce Dieu était si puissant que toutes choses obéissaient à Sa Parole. La puissance de Dieu a suscité en moi un désir intense de Le connaître . »
Elle s’inscrit au Catéchuménat pour adultes où elle apprend non seulement à lire la bible et à prier toute seule, mais à « partager avec d’autres ».
Lors de sa première retraite, elle découvre Jésus « humilié, souffrant, versant chaque goutte de Son sang pour racheter le monde. Elle s’engage alors dans « le pardon, la compassion, et […] le partage », devient « plus proche de Dieu, de sa famille, de ses amis et voisins, de tout le monde… “Tellement de grâces, tant à remercier : Je vois et j’entends différemment à cause de mes lectures, de ma méditation des Écritures et de la vie de Dieu en moi .“ » Au cours de son cheminement, elle fait l’expérience du lavement des pieds. Ce n’est pas le prêtre, mais elle qui doit laver les pieds de ses accompagnateurs. Elle est sans voix. Elle comprend qu’il s’agit d’être comme le Maître, « “doux et humble “. Nous devons abandonner notre moi, notre orgueil, notre égoïsme. » Ses yeux s’emplissent de larmes, parce que c’est « le sentiment le plus humble » dont elle ait fait l’expérience jusque-là. « Cela a changé ma vision d’autrui . »
Une image peut faire comprendre le profond bouleversement intérieur que vit Sonam. « Celui qui aujourd’hui veut entrer dans l’église de la Nativité de Jésus à Bethléem découvre que le portail, qui un temps était haut de cinq mètres et demi et à travers lequel les empereurs et les califes entraient dans l’édifice, a été en grande partie muré. Est demeurée seulement une ouverture basse d’un mètre et demi. L’intention était d’éviter qu’on entre à cheval dans la maison de Dieu. Celui qui désire entrer dans le lieu de la naissance de Jésus, doit se baisser. »
Jusque-là Sonam a saisi tout le mystère de l’Incarnation de Dieu qui se déroule devant elle : « La conception de la Vierge par le Saint Esprit, le chant des anges, la naissance de Dieu : c’était au-delà de mon imagination . »
Mais aussi toute la transcendance divine. « Ce Dieu était si puissant que toutes choses obéissaient à Sa Parole. La puissance de Dieu a suscité en moi un désir intense de le connaître. »
Mais Sonam découvre Jésus « humilié, souffrant, versant chaque goutte de Son sang pour racheter le monde » et vit cette humilité en lavant les pieds de ses accompagnateurs, à la manière de Son Maître lavant les pieds de Ses disciples. Elle en pleure : elle découvre la beauté du service, de l’humilité, du pardon…
Sonam, sans le savoir était « puissante », de sa puissance naturelle d’être humain. C’était une battante, une conquérante, comme on aime à le dire aujourd’hui. Elle découvre, dans la nuit de Noël, une puissance prodigieuse qui s’est faite faible et comprend alors ce chemin est le sien :
Jésus s’est abaissé pour qu’elle le découvre non seulement dans sa prière à Le bercer dans ses bras comme S. Ephrem de Nisibe, mais aussi dans ses frères et sœurs dont elle lave les pieds avec joie, à sa grande stupéfaction, elle qui pensait que la joie consistait à se faire servir plutôt qu’à servir.
Elle comprend en cette nuit de Noël et dans son catéchuménat que son chemin est non seulement d’accueillir Jésus mais de devenir Jésus pour les autres.
Elle comprend que Jésus n’est pas absent, mais qu’Il veut être Jésus par elle.
Es-tu esseulé ou triste ce soir ? Viens accueillir en ton cœur « le Tout-Petit et le Très-Grand à la fois ».
Es-tu esseulé ou triste ce soir ? Viens le Lui dire : Il est tout entier présent à toi. Consolé si parfaitement par l’Enfant qui a aussi pour nom : « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix », tu consoleras aussi tes frères et sœurs esseulés comme l’a fait Sonam et tant d’autres.
Prions : « Seigneur, merci d’être venu sur terre, Toi l’Enfant, l’Ancien des jours, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. Amen. »
Auteur : Père Geoffroy de Lestrange, ermite à Sully-sur-Loire
22 décembre 2022