Exister c’est être aimé

Vivre – c’est être aimé. La vie biologique n’est pas liée à l’air que nous respirons, à la nourriture que nous prenons, aux vitamines que nous ingurgitons. Elle n’est pas liée au physique. Elle est liée à quelque chose de plus profond: Nous vivons parce que nous sommes aimés. Et si nous ne sommes pas aimés, nous mourrons.

Etre aimé, c’est quoi? – Etre aimé c’est être tout pour quelqu’un. C’est occuper tout son cœur, toute sa vie, toute sa pensée. Le sacrement de cet amour unique, c’est la maman. Nos mères nous aiment ainsi. Une maman, pour elle, son fils c’est tout. Et c’est pourquoi ce fils existe. Il n’existe pas parce qu’il boit du lait, il n’existe pas parce que le père gagne de l’argent, il n’existe pas parce qu’on lui a servi un bon repas, il n’existe pas pour tout ce qu’on lui donne. Il existe parce qu’il est aimé.

J’avais lu une étude aux Etats Unis d’enfants vivant dans un hospice. Ces hospices américains ultra-perfectionnés où tout est propre, tout est aseptisé, avec des infirmières toutes blanches, propres. Et il y avait trente enfants dans un dortoir, et les infirmières venaient trois, quatre, cinq fois par jour apporter le biberon et le mettre dans la bouche de chaque enfant, et venir un quart d’heure plus tard retirer le biberon. La moitié de ces enfants sont morts. De faim ? Non. Ils avaient tout. Parce qu’ils étaient des enfants en séries, des enfants dans un dortoir, des enfants dans un asile, des enfants dans un hospice. Et il y avait des infirmières pour qui il y avait des enfants, des numéros sur les lits. Ils mouraient, et ceux qui ont survécus, ont vécu de façon végétative, si on peut dire, marqués pour le reste de leur vie par cette carence d’amour au début de leur vie.

Mais j’espère que tous, nous avons été aimés et que tous, nous sommes aimés. Mais…, mais vient un jour où l’amour humain révèle ses limites, même dans le plus beau couple, même dans la meilleur famille, même entre les meilleurs amis. Il y a un jour quelque chose qui casse ou bien une dérive qui s’opère et on se sent tout à coup loin. Cet ami qui était tellement mon ami, il est loin, loin pas parce qu’il est parti au Koweït ou aux Etats Unis, mais il est loin parce qu’on ne se rejoint plus. Et la plupart des couples font aussi cette expérience. Il y a une solitude inhérente à l’existence humaine. Il y a une limite à l’amour humain qu’on touche un jour ou l’autre. Et j’étais frappé dans un des groupes dont je suis l’accompagnateur, frappé par l’unanimité de ces jeunes de plus de trente ans qui tous, sans exception, m’ont dit: ‘J’ai vécu dans ma vie une déception dans l’amitié ou dans l’amour, une déception qui a laissée une blessure, une cicatrice.’ Alors vient un jour, si on n’a pas découvert un amour inconditionnel, fidèle, fidèle, fidèle, on craque. La vie perd sa signification. Cet amour, existe-t-il? Qui? Qui? Dites-moi qui?

La maison où tu trouves l’amour, c’est le cœur de Jésus-Christ.” Quand tu te sens tout seul sur cette terre, aviateur naufragé, être solitaire, quand tu es dans la nuit, quand tu sens que ta vie ne s’accroche plus à personne et que personne ne s’accroche plus à toi, qu’il y a une dérive, et cette solitude, tôt ou tard, nous la trouverons dans notre existence. L’homme est un être seul. Je ne suis pas pessimiste, c’est pas ma nature. Mais l’homme est un être seul. Un jour ou l’autre il découvre sa solitude foncière. Et si au cœur de cette solitude il n’y a pas cette flamme dont nous parlions dans ce cantique, il n’y a pas cette lumière qui s’élevait et qui s’appelle l’amour inconditionnel de Dieu, c’est fini.

Mes chers amis, la crise de l’Occident est là. C’est la perte de cette foi inconditionnelle en quelqu’un qui m’aime de toute éternité. Ce que Saint Paul dit aujourd’hui dans son épître est essentiel:

“En Lui, il nous a choisis avant la création du monde…”

Avant la création du monde, avant qu’il y ait des collines et des forêts, et des mers et des océans, avant qu’il y ait des soleils et des étoiles et des galaxies, il y avait mon visage devant son visage. Il me voyait, moi. Il m’a choisi, moi. Il m’a aimé, moi, moi, moi. Je ne suis pas un chiffre, un nombre dans ces six milliards d’habitants de la terre, je suis unique, unique, unique pour Dieu. En créant tous ces mondes, c’est moi qu’Il regardait. Cela, c’est la foi. La foi ce n’est pas la récitation d’un Credo : Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, etc. Ce n’est pas ça la foi. La foi c’est cette découverte bouleversante, émerveillée : “Tu mes jettes dans la stupeur – je suis aimé, tu m’aimes. Dieu, tu m’aimes. Tu m’aimes, moi! Mais tu m’aimes à la folie, à la folie! Je suis tout pour toi. Je suis ton enfant bien-aimé. Je suis ton unique.” A partir de cette découverte la vie change, la vie prend une autre dimension: “Le seul rocher sur lequel je puisse construire mon existence, c’est ton amour absolu, infini, éternel.

“D’un amour éternel je t’ai aimé. Vois, j’ai gravé ton nom sur les paumes de mes mains.” (Isaïe)

Cette phrase est un joyau de la Bible. “D’un amour éternel je t’ai aimé, avant que les sources ne jaillissent et que les océans ne se répandent, avant que les étoiles ne brillent et que le soleil éclate, tu étais là, tu étais là dans mon coeur, devant mes yeux, devant ma face, je t’aimais.”

Je ne suis pas un fruit du hasard. Je ne suis pas de trop, comme dirait Sartre. Je ne suis pas venu comme ça. Le hasard et la nécessité dans mon nom, oui. Il a voulu tout suspendre au hasard, alors nous serions tous des fruits du hasard ? Non. C’est là que la foi sauve. Le monde d’aujourd’hui, s’il ne redécouvre pas cette foi, est perdu, est perdu au milieu de quantités de gadgets, de quantités d’expériences plus ou moins malheureuses, où il cherche à tâtons l’amour. L’amour – qui d’entre nous ne cherche pas l’amour ? Qui ? Et saint Paul te dit : “Tu es aimé de toute éternité. Avant même la création du monde, il t’a choisi. Toi !”

Mes chers amis, aujourd’hui, essayons de faire cette découverte, essayons de creuser notre cœur et notre foi pour découvrir ce centre de la révélation chrétienne, cet amour unique par lequel nous existons, suspendus à cet amour comme le fruit à l’arbre, suspendus. Et lorsque nous traversons la solitude, le découragement ou le désespoir, Seigneur, révèle cet amour éternel dont nous sommes aimés, ce nom gravé sur les paumes de ses mains, cette place unique que nous occupons dans son cœur.

Henri Boulad, Homélie prononcée en français le 4 janvier 1998 à Alexandrie en l’église des Jésuites.

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