Congrès Mission : dans un Bercy transformé en « mega Church », les catholiques affichent leur unité
Par Arnaud Bevilacqua, Céline Hoyeau, Héloïse de Neuville, Emmanuel Pellat et Youna Rivallain
Publié le 9 novembre 2025 à 18h55Lecture : 6 min
Le Congrès Mission a rassemblé plus de 10 000 personnes à l’Accor Arena de Paris-Bercy
Pour sa dixième édition, le Congrès Mission a investi l’Accor Arena de Paris, réunissant jusqu’à 10 000 catholiques sur le week-end des 7 et 8 novembre. Cet événement de l’évangélisation catholique devenu incontournable a montré une Église décomplexée, décidée à travailler son unité à travers toutes ses sensibilités.
« C’est une manifestation pour quoi ? » La question fuse depuis une voiture arrêtée au milieu du bouillonnant quartier parisien des Halles. Devant la conductrice, 700 jeunes des quartiers populaires chantent un tube bien connu des catholiques. « Que ma bouche chante ta louaaaange », lancent-ils en chœur sous le regard stupéfait des passants. « C’est une manifestation pour Jésus ! », lui explique un garçon, casquette sur la tête. « Ah ! ? Alléluia ! », répond l’automobiliste, reprenant sa course dans les rues de la capitale.
Cette scène insolite, fervente, démonstrative est un pur produit du Congrès Mission, rendez-vous de l’évangélisation catholique français qui organisait ce week-end à Paris sa dixième édition. Comme une démonstration d’unité, les organisateurs ont imaginé quatre marches de jeunes selon leur sensibilité – « tradi », scouts, aumôneries étudiantes et donc une pour les jeunes des quartiers populaires –, qui partaient de quatre églises différentes avant de converger vers Notre-Dame de Paris. Puis, comme un symbole, ils ont marché ensemble jusqu’à l’Accor Arena, louée pour héberger le rassemblement qui sur les deux jours a rassemblé jusqu’à 10 000 personnes, le samedi 8 novembre au soir.
Des jeunes catholiques réunis a l’église Saint-Eustache avant d’entamer la marche vers le Congrès Mission à l’Accor Arena de Paris Bercy, le 8 novembre 2025. Romain Rabier pour la Croix
« On dit souvent que l’Église de France est en bout de course alors qu’on perçoit un souffle nouveau autour de cette jeunesse qui assume un élan missionnaire et une plus grande visibilité », se réjouit le père Charles-Thierry Ndjandjo, du diocèse de Pontoise, rencontré dans la marche. Les voix des jeunes fidèles ne démentent pas celle du prêtre. « Si t’es fier d’être catho tape dans tes mains », entonnent-ils dans un mégaphone en passant les portiques de sécurité de la plus grande salle de concert parisienne, qui a accueilli dès le vendredi soir une veillée de louange et d’adoration.
Un catholicisme engagé, décomplexé et désireux de montrer un visage uni
Dans un Accor Arena aux allures de megachurch, Raphaël Cornu-Thénard, le fondateur du Congrès Mission – qui a annoncé que cette dixième édition serait sa dernière à la tête de l’événement – ne cache pas son émotion. Car il a dû souvent en rêver, d’une salle aussi grande que mythique arborant les couleurs du Congrès Mission, accueillant le temps d’un week-end un catholicisme engagé, décomplexé et désireux de montrer un visage uni tout en reconnaissant les sensibilités différentes qui le composent.
« On est dans une période compliquée, avec beaucoup de tensions, de communautarisme, de polarisation, rappelle le comédien Mehdi Djaadi, sur la scène de Bercy lors de la veillée d’ouverture. Nous, les chrétiens, on est peut-être appelés ailleurs, à être des pèlerins d’espérance, déjà entre nous. En se respectant, en s’accueillant, en se rencontrant ? »
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Cet appel à l’unité est au cœur du projet porté depuis dix ans par le Congrès Mission. Créé en 2015 par des tenants de l’évangélisation de rue, avec une première édition à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre réunissant seulement 150 personnes, le Congrès Mission s’est progressivement étoffé. D’année en année, l’événement d’abord exclusivement porté par des catholiques parisiens « génération Jean-Paul II », influencés par le mouvement du Renouveau charismatique, a accueilli toujours plus de nouveaux courants d’Église, avec un objectif : permettre à des laïcs comme à des consacrés d’échanger sur les bonnes pratiques d’annonce de l’Évangile dans une France sécularisée où le catholicisme est devenu minoritaire et la scène religieuse plurielle.
Un désir des catholiques d’assumer leur foi
De fait, chez les 18-29 ans, les catholiques ne représentent plus que 15 %, talonnés par les musulmans (13 %), dans un paysage largement dominé par les « sans religion » (39 %) et les athées convaincus (28 %). Cette donne minoritaire a paradoxalement produit les forces vives d’une Église désinhibée qui se donne à voir dans les travées de Bercy. Et des tables rondes comme des conversations informelles dans les coursives, une même conviction se dégage : on assisterait au début d’une « nouvelle donne spirituelle ». Les signes ? Une génération animée d’une soif de Dieu qui frapperait « sans préjugés » aux portes des paroisses. Partout, on évoque les messes bondées du mercredi des Cendres, un nouvel attrait pour le Carême… En toile de fond, l’islam, en parlant ouvertement de foi, a paradoxalement réveillé chez les catholiques le désir d’assumer la leur.
Une table ronde en public lors de la messe du Congrès Mission a l’Accor Arena de Paris-Bercy, le 8 novembre 2025. Romain Rabier pour la Croix. / @romainrabier
Que l’on croise dans les travées de Bercy des membres du café associatif solidaire Dorothy, marqué à gauche, ou ceux de l’association traditionaliste Notre-Dame-de-chrétienté, un dénominateur commun fait foi : leur conviction que les chrétiens doivent parler de Dieu autour d’eux. « Le Congrès Mission, c’est une sorte de catho pride. À chaque fois ça me redonne du courage », témoigne le frère Baudouin Ardillier, membre de la communauté Saint-Jean, curé à Orléans. Il remarque : « pendant la veillée, les chants de pop-louange alternaient avec le Tantum Ergo (hymne en latin, NDLR) et ce n’est même pas une question. Ici on dépasse les oppositions. »
« Nous venons ici pour rencontrer des chrétiens de sensibilités différentes. On a besoin de temps comme cela pour ne pas rester dans l’entre-soi. »
Le samedi matin, pour la messe lançant la journée, l’autel liturgique, recouvert d’une simple nappe blanche, trône au centre du Palais omnisports, au milieu de la « fosse » où dans quelques jours danseront les fans de Lady Gaga. Une chorale polyphonique soutient l’assemblée, présidée par le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, figure du dialogue interreligieux lors de la guerre civile centrafricaine. « Au feu de la guerre, aux cœurs brisés, à la foi qui s’endort, le Christ répond en nous disant : “La Paix soit avec vous !” », lance le cardinal centrafricain dans son homélie. « Dieu est présent dans notre société, à nous de l’aider dans sa mission de paix. »
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Dans le grand hall, Louis et Marie, 23 et 24 ans, jeune couple venu de l’Essonne, détendus et visiblement amoureux, préparent le stand de la Délégation catholique à la coopération, le service de volontariat international de l’Église de France. « Nous venons ici pour rencontrer des chrétiens de sensibilités différentes. On a besoin de temps comme cela pour ne pas rester dans l’entre-soi. » Pierre, 37 ans, parisien et éditeur, résume ce qu’il cherche : « Des chrétiens pour qui la foi n’est pas un bastion mais une mission. Une Église qui annonce le Christ avant d’annoncer une morale ou une culture. »
Des sujets sources de tensions
Après la messe puis une « plénière » où s’enchaînent les témoignages de foi, à la manière de ce qu’on peut retrouver lors des sessions de la communauté de l’Emmanuel à Paray-le-Monial, le Congrès mission se transforme en mini « salon de l’agriculture catholique ». Dans les couloirs, les groupes se mélangent, on recroise de vieilles connaissances, on présente un ami, un conjoint, un copain prêtre.
Conférences, témoignages, tables rondes… Tout est fait pour « ne pas en rester au stade de l’émotion », selon les mots des organisateurs. Dans la « pépinière », seize mètres de panneaux, situés sur la coursive ceinturant le stadium, présentent des initiatives missionnaires. Camille, 33 ans, parisienne, proche du mouvement d’évangélisation Anuncio, y est bénévole pour la journée comme « facilitatrice ». « Nous avons récapitulé dix ans d’expériences missionnaires pour aider les participants du Congrès Mission à trouver les outils adaptés à leur territoire. »
« Nos petites disputes de catholiques sont balayées par les catéchumènes qui nous demandent de leur montrer le Christ. »
Car il y a urgence, selon beaucoup de catholiques engagés rencontrés à Bercy, à se former pour recevoir les aspirants au baptême qui viennent frapper à la porte de l’Église. Plus de 10 000 adultes ont reçu, à Pâques 2025 ce sacrement, un record. Cette année encore, les demandes submergent certaines paroisses, qui cherchent au Congrès Mission comment les accompagner au mieux.
« Je suis venu avec une dizaine de paroissiens qui attrapent plein d’idées », se réjouit le père Pierre Machenaud, curé d’Eaubonne (Val-d’Oise), qui cette année doit préparer 150 catéchumènes, 80 adultes et 70 adolescents. Il se réjouit de la diversité catholique rencontrée à Bercy, tout comme son confrère le Père Louis Thiers, vicaire de la paroisse Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles (Paris 13e) : « Nos petites disputes de catholiques sont balayées par les catéchumènes qui nous demandent de leur montrer le Christ », affirme-t-il.
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Un même souci de « communion dans la diversité » exprimée près du stand des parcours Alpha. « Il y a des sensibilités différentes mais nous avons le même Dieu, insiste Myriam Bigo, coprésidente de ces parcours pour recommençants de la foi. Elle s’interroge sur les divisions chez les catholiques : « Quelle image donnons-nous ? » De fait ces dernières années, le débat s’est polarisé dans l’Église, notamment après le succès de la campagne d’Éric Zemmour en 2022 auprès d’une frange catholique plus conservatrice.
Bien d’autres thématiques suscitent des tensions, comme l’accueil des personnes homosexuelles au sein des communautés, ou la célébration de la messe tridentine en France, sur fond de succès grandissant ces dernières années du pèlerinage de Chartres. Face à ces clivages, le Congrès Mission a dû tracer ses propres lignes rouges : après une polémique, l’organisation a finalement refusé d’accorder un stand à l’association traditionaliste et identitaire Academia Christiana.
Des gradins vibrants de ferveur
Signe que ce catholicisme missionnaire entend aussi se confronter aux crimes qui ont meurtri des personnes au sein de l’Église ces dernières années, toute la journée du samedi, un atelier était consacré à la crise des violences sexuelles dans l’Église, animé par Béatrix Bréauté, fondatrice de Talenthéo, un réseau de coachs qui accompagne l’Église dans ses transformations. « On ne peut plus annoncer le Christ comme avant la crise des abus, expose-t-elle, plaidant pour « plus d’humilité, moins de posture conquérante, une annonce moins dans l’exercice de conviction et davantage dans le respect de la liberté de conscience ».
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Le samedi soir, dans les gradins vibrants de ferveur et bien remplis de l’Accor Arena de Bercy, Raphaël Cornu-Thénard, fondateur du Congrès Mission et Khendal Bile de l’association Fide, ont une dernière fois interpellé les fidèles sur l’unité. « Regardons-nous, cathos de tous bords et de toutes sensibilités, amis et même rivaux, c’est parfois ce que nous sommes (…) Le petit miracle du Congrès Mission, c’est peut-être cette unité qu’on va vivre ce soir dans la diversité, elle contredit l’archipélisation, la division dans notre société et qu’on vit aussi parfois dans nos églises. Amen ! »
Dimanche, l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, a célébré dans l’après-midi une messe d’action de grâce à Saint-Sulpice pour les 10 ans du rendez-vous missionnaire. Le passage de relais est acté : une nouvelle équipe reprendra le flambeau pour l’année prochaine, avec pour défi de consolider cette communion.
Une « mission de rue » à Paris
De la théorie à la pratique. Samedi soir, 20 h 30, dans le quartier des Halles à Paris, une trentaine de participants du Congrès Mission se sont lancés dans une « mission de rue » organisée par le mouvement Anuncio. Après une courte formation et un temps de prière à Saint-Eustache, ils partent en binômes à la rencontre des passants. Marc, 58 ans, habitué de l’exercice, confie : « Jésus-Christ nous l’a demandé. On croise des personnes qu’on ne rencontrerait nulle part ailleurs. La mission, c’est ingrat, mais il y a aussi de belles rencontres. On permet un pas de plus vers Dieu. » Mathilde, 23 ans, parisienne, ajoute : « C’est l’occasion de parler du sens de la vie, de l’existence de Dieu… C’est plus facile avec des gens qu’on ne reverra jamais. » Alan, 27 ans, d’origine marocaine, « musulman de culture », a accepté de discuter, bien qu’il estime que « les religions enferment souvent les hommes dans un système culturel ». Il conclut : « Je me suis senti respecté et écouté. C’est rare de pouvoir parler de sujets aussi profonds. »



